Courrier – Migrant·es
Lettre au ministre Castaner sur la réforme de l’hébergement d’urgence
23 janvier 2019
Monsieur le Ministre,
En tant que commissaire aux Lois, j’ai été amenée à travailler de près sur la loi sur l’asile et l’immigration portée par votre gouvernement. Je suis également l’élue d’un territoire où la prise en charge des personnes migrantes revêt un caractère d’urgence quotidien. Au cours des derniers mois plusieurs associations m’ont alertée sur l’impact du changement de statut des centres d’hébergement pour migrants (CHUM) qui intervient à compter de ce mois de janvier 2019. Ceux-ci vont en effet passer de la tutelle du Ministère de la cohésion et des territoires à la vôtre. Au-delà de la question sur le sens politique de cette évolution, qui privilégie la sécurité et le contrôle administratif des migrant·es à l’approche inconditionnelle du travail social et de l’insertion, elle impacte concrètement les structures gestionnaires de ces dispositifs ainsi que les personnes auxquelles ils se destinent.
En effet, les actuels CHUM vont devenir soit des centres provisoires d’hébergement (CPH) pour les réfugiés, soit des hébergements d’urgence pour demandeurs·ses d’asile (HUDA). Cela implique dans tous les cas une baisse de financement de l’Etat du prix à la place pour atteindre 25€ par jour en Ile-de-France (sur plusieurs années pour les HUDA). Par exemple, le CHUM La Rochefoucauld géré par Aurore devra faire passer ses dépenses journalières par personnes de 38€ à 25€. Les associations se voient alors obligées de contraindre leurs dépenses, rognant sur le taux d’encadrement proposé aux personnes accueillies et donc sur la qualité de l’accompagnement social qui sera dispensé au sein du centre (et ce sans cohérence avec les attentes exprimées dans le cahier des charges pour les CPH notamment).
Cela va aussi forcer les centres à abandonner certaines prestations et actions qu’ils mettaient en place, notamment alimentaires. Or, il s’agit d’un réel besoin pour les personnes accueillies puisque votre gouvernement a fait le choix de n’offrir plus qu’un repas par jour aux demandeurs·ses d’asile qui ne bénéficieraient pas encore de l’ADA. Du fait des restrictions budgétaires que vous leur imposez, les associations n’auront pas les moyens de proposer plusieurs repas à ces personnes. Le CHUM La Rochefoucauld, par exemple, voit son budget baisser de plus de 300 000€. Enfin, sous le CESEDA, les centres ne se verront financer que leurs frais de fonctionnement, et pas ce qui relève de l’investissement : tous les éléments liés à de la rénovation de bâtiment par exemple ne seront donc pas pris en compte.
Par ailleurs, avec ce changement, les CHUM sont obligés de choisir entre plusieurs publics qu’ils accueillent aujourd’hui de manière indistincte : demandeurs·ses d’asile ou réfugié·es. Ils accueilleront désormais qu’un seul de ces publics : cela revient pour eux à effacer une partie du travail d’insertion sociale partenariale développée depuis deux ans, pour se réorienter vers un nouveau public avec des besoins différents.
Ces dispositifs remettent en cause l’inconditionnalité et la continuité de l’accueil. En effet, ils se destinent aux seul·es demandeurs·ses d’asile et réfugié·es statutaires. Quid des personnes sans conditions matérielles d’accueil ou déboutées du droit d’asile, aujourd’hui hébergées dans les CHUM ? Il est inadmissible qu’elles soient remises à la rue du fait d’un arrangement technocratique. De même, on comptait en octobre 2018 2700 réfugié·es statutaires hébergées en CHUM en Ile-de-France. En janvier, seules 1500 places en CPH vont ouvrir. C’est donc au bas mot 1200 places qui vont manquer.
Il est illusoire de penser qu’à quelques jours de la création des CPH, ces personnes pourront avoir intégré un logement pérenne comme vous l’argumentez. Que va-t-il advenir d’elles ? Cela est d’autant plus inquiétant qu’une note émergeant de vos services indique bien que les personnes pourront être remises à la rue, et ce même en hiver, car “les dispositions relatives à la trêve hivernale ne sont pas applicables dans le cadre des procédures d’expulsion des lieux d’hébergement pour demandeurs d’asile”.
Parallèlement, la loi Collomb sur l’asile et l’immigration a acté l’orientation directive de l’OFII vers les régions pour la démarche de demande d’asile : il est fondamental que celle-ci se fasse avec l’assurance d’un hébergement pour les personnes.
Enfin, force est pourtant de constater l’insuffisance du nombre des places pour les personnes migrantes laissées à la rue, notamment les familles. Cela a encore été dénoncé par 14 organisations dans un communiqué en date du 31 décembre dernier. Elles estiment qu’elles sont 1200 dans les campements du Nord-Est parisien et de Saint-Denis, chiffre certainement sous-évalué. Les associations parisiennes constatent une augmentation de la présence de familles sur les points de distributions alimentaires, qui n’ont aucun endroit où être hébergées. 37 000 demandeurs·ses d’asile sont en attente d’hébergement en France aujourd’hui.
L’augmentation du budget lié à l’asile dont votre gouvernement s’est cyniquement félicité lors des débats sur la loi de finances 2019 était donc bien, comme nous le critiquions déjà, un trompe l’oeil. Elle prend en compte l’ouverture de nouveaux centres mais diminue la qualité de l’accueil général, et reste de toutes façons insuffisant au vu des besoins. Il est fondamental que vous permettiez aux centres de garantir l’insertion des personnes qu’ils accueillent, en respectant les règles d’inconditionnalité et de continuité de l’hébergement, et que vous cessiez de contraindre toujours plus les budgets des associations en charge de ces dispositifs pour que chaque personne à la rue puisse accéder à un hébergement pérenne et accompagné.
Dans l’attente d’une réponse positive de votre part, veuillez agréer, monsieur le Ministre, l’expression de mes républicaines salutations.