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Droits – Grève à l’Ibis Batignolles : lutte sociale, féministe et écologiste

Face à une exploitation sociale, sexiste, raciste et anti-écologiste, les femmes de chambre de l’hôtel Ibis Batignolles (Paris 17e) ont choisi la lutte. Elles la mènent de manière implacable depuis 7 mois, malgré la fatigue. Leurs revendications : l’internalisation à l’Ibis et le retrait de la réforme des retraites. Laurence MEYER, en rappelle les causes et l’importance de la soutenir : 

  • en donnant ou partageant leur caisse de grève ici ;
  • en participant à leurs actions qui relayées sur la page facebook de la CGT HPE ici;
  • en organisant des événements pour récolter de l’argent et en faisant connaître leur lutte.

« La sous-traitance c’est la maltraitance »

C’est un slogan qu’on entend souvent sur le piquet de grève. En effet, la moitié des hôtels externalisent le ménage à des entreprises de sous-traitance. C’est également le cas pour des entreprises publiques comme la RATP ou d’ institutions comme…l’Assemblée nationale.

Les grévistes de l’Ibis Batignolles sont employées en sous-traitance par la société STN et travaillent pour le groupe Accor, numéro 1 de l’hôtellerie en France et 6e mondial avec un chiffre d’affaire en 2019 de 40,04 milliards. La STN était aussi l’entreprise employant les 70 grévistes de l’hôtel Hyatt. C’était également une entreprise de sous-traitance, l’entreprise ONET, qui était en cause pour les grévistes chargé·es du ménage à la SNCF en 2017.

“…en quinze ans, le nombre d’entreprises du nettoyage ainsi que leur chiffre d’affaires ont été multipliés par quatre en Europe, avec un taux de croissance annuel de près de 10 %. Les effectifs ont plus que doubler, passant de 1,69 millions en à 3,6 millions.” (1) Cette explosion des profits se fait au prix de la maltraitance des salarié·es. Dans le cas des métiers du ménage, ce sont en grande majorité des femmes racisées et dont les titres de séjour, pour celles qui sont de nationalité étrangère, dépendent des emplois précaires qu’elles occupent.

La sous-traitance permet aux hôtels et institutions de se déresponsabiliser juridiquement des conditions de travail de ces employé·es qui n’ont pas d’accès à la représentation interne du personnel, ne bénéficient pas de leurs conquis sociaux et se retrouvent isolé·es et invisibilisé·es. Les grévistes de l’Ibis Batignolles n’avaient par exemple pas le droit de manger avec les autres employé·es de l’hôtel. 

« Frotter, Frotter, il faut payer »

Rachel Kébé, 45 ans, 5 enfants, employée depuis 2003, payée 1300 € net par mois. Kadidiata Karamoko, 4 enfants, “gagne à peine 800 € par mois pour soulever des matelas, dépoussiérer du mobilier, changer des draps, nettoyer des douches et récurer des sanitaires. Le midi, le déjeuner ne lui est jamais fourni”. Blanche-Parfaite, trentenaire, payée entre 800 et 900 € brut par mois : “Moi je dois faire jusqu’à cinquante chambres en sept heures et demie !” (2)

Les grévistes de l’Ibis Batignolles mènent la lutte contre l’injustice sociale parce qu’elles la subissent frontalement. La perte ou l’exclusion des conquis sociaux se répercutent sur l’échelle des salaires, les cadences de travail, les primes et les paniers repas. Selon la CGT HPE, les femmes de chambre dans les hôtels de luxe en régime de sous-traitance gagneraient en fin de carrière 1500 € contre 1800 € lorsqu’elles sont internalisées.

Alors qu’elles sont souvent employées en temps partiel, la rémunération à la tâche et non au taux horaire les oblige à faire des heures supplémentaires non payées, le seul temps déterminé étant celui du début du travail et non celui de la fin des tâches, ce qui conduit à du travail à temps plein déguisé en temps partiel. Dans leur lutte, les grévistes ont obtenu l’installation d’une pointeuse. 

Enfin leur travail implique de porter des charges lourdes, de manière répétitive, cause de mal de dos, de syndrome du canal carpien, etc. 

« Nous ne venons pas travailler pour être esclaves et nous faire violer ! » (3)  

En mars 2017, Beby, une des femmes de chambre de l’hôtel, a été agressée sexuellement par l’ancien directeur alors qu’elle préparait une chambre. Il est aujourd’hui mis en examen. 

Les emplois de femmes de chambre ou de ménage charrient des clichés genrés et racialisés. Ces stéréotypes sont liés à la fois au type d’emploi (perception d’un rôle de soumission des emplois domestiques, uniforme – souvent des robes – obligatoire, indésirabilité proclamée mais hypersexualisation des corps racisés…) et aux connotations particulièrement intimes de leur lieu de travail (chambres, salles de bain). Cela rend ces travailleuses particulièrement vulnérables aux violences sexuelles et sexistes.

En outre la précarité de leur travail et souvent de leur statut administratif les force à se taire ou fait qu’elles sont ignorées ou discréditées lorsqu’elles parlent.

Exposition aux produits toxiques 

Selon une étude norvégienne, l’usage fréquent de certains produits ménagers aurait un effet équivalent sur la santé au fait de fumer 20 cigarettes par jour pendant 10 à 20 ans. (4) Les femmes de chambre sont particulièrement exposées à ces produits dangereux.

La liste des produits toxiques et leur conséquence sont édifiantes. Produits anti-calcaires aux effets irritants pour les yeux et la peau provoquant des troubles intestinaux; conservateurs avec du formaldéhyde classé comme cancérogène certain par le Centre international de recherche sur le cancer ; ammoniac et eau de javel qui jouent un rôle dans l’apparition ou l’aggravation de l’asthme ; désodorisants dont 12 des 74 produits testés par le Bureau européen des unions de consommateurs dégageaient du styrène, un neurotoxique et cancérogène possible. 

A quand les vieux jours heureux ? 

Ces femmes vont être aussi particulièrement impactées par la réforme des retraites qui leur fera subir une double peine. Alors même qu’elles subissent un abattement de 8% des cotisations patronales sur leur salaire, illégal mais fréquent, et qui n’est annulé qu’en allant devant les tribunaux, elles vont voir leur maigre retraite actuelle encore baisser ou devoir se forcer à se maintenir au travail alors même qu’elles exercent un métier particulièrement dur, qui ne leur permet pas de rester au travail au-delà de 60 ans.

Ce combat est celui de toutes les femmes dont les métiers sont invisibilisés ou dévalorisés, qui doivent faire face au sexisme quotidien, à la pénibilité mentale et physique d’emplois précaires. Une victoire des grévistes de l’hôtel Ibis Batignolles serait aussi la leur et celle de tous·tes les salarié·es en lutte.

Notes

(1) Nolwenn WEILER, “Femmes de ménage : un métier à hauts risques toxiques oublié par l’écologie, Bastamag, 4/03/2014

(2) Alexandre-Rez KOKABI & NnoMan, “Femmes de chambre en grève à l’hôtel Ibis : « La sous-traitance, c’est la maltraitance »”, Reporterre, 08/01/2020; Victoire CHEVREUIL, “« Parfois on pleure, tellement nous sommes fatiguées » : avec les femmes de chambre grévistes de l’hôtel Ibis”, Le Monde, 24/07/2019

(3) Victoire CHEVREUIL, “« Parfois on pleure, tellement nous sommes fatiguées » : avec les femmes de chambre grévistes de l’hôtel Ibis”, Le Monde, 24/07/2019

(4) Josh GABBATISS, “Using cleaning products is as bad for lungs as smoking 20 cigarettes a day, scientists warn”, Independant, 16/02/2018

A lire

– CGT HPE, “Rendez-nous le milliard”, 25/02/2020 

– Dan ISRAEL, “Victoire éclatante» pour les grévistes de l’hôtel Hyatt”, Médiapart, 24/12/2018 

– Mohamed BENSABER, “La grève de 45 jours des agents de nettoyage ONET, une histoire de France, mon histoire de France”, Bondyblog, 02/01/2018

– Marc OHANA et Sibylle PINOCHET, “L’hôtellerie, un secteur particulièrement exposé au harcèlement sexuel”, Slate.fr, 20/11/2018 

Un féminisme décolonial, Françoise VERGES, La Fabrique éditions, 2019 ; La pensée féministe noire, Patricia HILL COLLINS, les éditions du remue-ménage, 2018

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