230219 Lutte de classe parlementaire

Billet d’humeur – Réforme des retraites : de la lutte de classe parlementaire

Du travestissement des règles du débat pour offrir la motion référendaire à leurs alliés du RN, aux provocations et incidents de séances orchestrés pour faire diversion, en passant par les explications éclatées au sol pour justifier de refuser des repas étudiants à 1 euro et les silences coupables en réponse aux demandes de déport sur les votes qui mettaient nombre d’entre elles et eux en flagrants conflits d’intérêts, le débat sur les retraites à l’Assemblée nationale aura été, tout le long, marqué par toutes les tares du pouvoir macroniste.  

Classe contre classe

Mais la scène la plus saisissante et la plus éminemment symbolique aura certainement été la dernière. La présidente macroniste de l’Assemblée, dont le seul titre de distinction pendant le précédent mandat était d’avoir brutalement sabordé la commission d’enquête sur l’affaire Macron/Benalla, et qui s’est illustrée, pendant tout l’examen du texte, par un autoritarisme, une partialité et une mauvaise fois inégalée à chaque fois qu’elle siégeait au perchoir, décide de couper court aux demandes de prise de parole, qui sont de droit, des dernièr·es orateur·trices, dont celle de Mathilde Panot, LFI – Nupes, alors qu’elle a laissé parler les celleux de Renaissance et LR. Elle donne autoritairement la parole au sinistre Dussopt pour qu’il fasse son œuvre : clore la séquence en activant l’article 47-1 de la Constitution qui permet (mais n’oblige pas) le gouvernement à arrêter la discussion et à transmettre le texte au Sénat. Le groupe LFI – Nupes se lève et s’en va en protestant. Nous entonnons le chant des Gilets jaunes. La Macronie, LR et le RN se lèvent, applaudissent le ministre qui, en plein craquage, le visage rouge et bouffie de rage, fulmine après nous, et entonnent la Marseillaise.

Au-delà du dévoiement inique de l’hymne national, ce moment dit tout ou presque de ce qui s’est joué tout le long de la séquence parlementaire mais sur lequel le commentariat médiatique et un certain nombre d’observateurs politiques bornés n’auront pas vu. Ce n’est rien moins qu’une forme de lutte des classes parlementaire qui s’est jouée ces 15 derniers jours dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale. Un affrontement classe contre classe, où les macronistes et ciottistes ont fait alliance avec les lepénistes pour contraindre l’expression du rejet populaire dans le carcan anti-démocratique de la 5ème République. En relayant dans l’Assemblée la colère de la rue, nous, les Insoumis·es avons empêché tous ces godillots au service du grand capital de voter la réforme des retraites. Nous avons dévoilé leurs mensonges et déjoué leur tentative de cadenasser le débat. Macron a échoué à opposer la légitimité parlementaire à celle du mouvement populaire. La balle est désormais dans le camp des salarié·es et du peuple. Nous avons gagné la première manche (celle de l’opinion et de la mobilisation) et neutralisé le gouvernement dans la 2ème (phase parlementaire). La 3ème qui se prépare maintenant sera décisive.

Certain·es, dans le mouvement social et politique, ne partagent pas la même analyse de la séquence. C’est normal. Entre celles et ceux qui ont le nez dans le guidon et celles et ceux qui assistent de plus ou moins loin à la bataille, les points de vue sont assez logiquement différents. peuvent être que pas toujours convergents. Même entre celles et ceux qui sont en plein dedans, chaque pas, chaque avancée ou recul peut entraîner un revirement total ou partiel tactique. Au sein du groupe LFI – Nupes, nous avons pesé et soupesé chaque action et réaction, en tentant d’intégrer le maximum de paramètres, et en essayant de ne jamais perdre de vue l’essentiel : 1/notre objectif de faire échouer la validation de ce texte de les manières parlementaires possibles ; 2/faire preuve d’une détermination sans faille qui encourage la mobilisation sociale en cours à venir.  De ce point de vue, une partie de critiques entendues ici et là, outre leur caractère souvent méprisant et injuste, sont également problématiques au regard de la compréhension des enjeux et de l’intérêt de la bataille parlementaire.

Théâtre parlementaire

L’une des plus récurrente, qui est également révélatrice d’une certaine conception, de classe, du travail parlementaire, porte sur la manière dont nous avons mené cette bataille. Faisant souvent preuve d’une grande inculture politique, les plus réactionnaires se sont lamenté·es  du “niveau” et de la “tenue” de débats qu’iels avaient souvent très peu suivis, au-delà de quelques séquences ultra médiatisées. A les entendre, comparé au temps pas si ancien, béni et regretté où l’hémicycle était rempli de 70 à 90 % d’hommes blancs âgés de classe moyenne et supérieure, les échanges auraient été d’une indécence et d’une médiocrité consternantes. A celles et ceux là, la meilleure réponse est encore celle de Jean-Louis Debré, député de droite quasi sans interruption de 1986 à 2007 et président de l’Assemblée nationale de 2022 à 2007.

Arrêtons l’hypocrisie, il n’y a absolument rien de nouveau. L’histoire de l’Assemblée, pour ceux qui la connaissent, déborde de débats houleux où les députés s’affrontent directement avec des invectives et parfois des coups. Le nombre de fois où il a fallu faire descendre les huissiers pour protéger les ministres au premier rang… Sans remonter trop loin, relisez les comptes rendus des débats lors de l’examen de la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, c’était ahurissant. Souvenons-nous aussi de l’examen des textes sur l’IVG , le pacs , le Contrat première embauche … Les mêmes procureurs déplorent l’obstruction parlementaire, oubliant qu’ils faisaient exactement la même chose il y a quelques années. Près de 140 000 amendements avaient été déposés sur la privatisation de GDF-Suez en 2006, quand j’étais président de l’Assemblée. Mais je crois, moi, que rien n’est plus dramatique que ces hémicycles où personne n’ose rien dire pour ne pas gêner tel ou tel. Il est préférable que l’Assemblée soit un reflet du pays”(1).

Jean-Louis Debré a mille fois raison. Il est non seulement normal et sain que l’Assemblée nationale reflète l’état du pays, mais il est nécessaire sain qu’elle soit le théâtre de toutes ses manifestations, y compris les plus virulentes et intempestives. Ce n’est pas un lieu neutre mais le champ d’expression par excellence des rapports de force et de domination politiques et sociaux, de la lutte des classes. C’est prévu pour cela. C’est ritualisé pour cela. La plupart du temps, classe dirigeante y débat et vote, dans un entre soi soigneusement entretenu, des politiques dont la violence et la cruauté sont masquées par la grammaire technocratique ou enrobées de professions de foi républicaines plus cyniques les unes que les autres. Et puis, de temps en temps, des voix discordantes y font bruyamment irruption et font de nouveau résonner tous les accents des révoltes et revendications populaires. Nous, Insoumis·es, nous inscrivons dans cette histoire et sommes fier·es de la perpétuer. Au cours des 5 dernières, nous avons été à la fois l’opposition politique la plus frontale et déterminée à la Macronie, et la première force d’alternatives (2). 

Rupture et rassemblement

Ce travail solide, sérieux, sur le fond et la forme, cette stratégie de conflictualité assumée et dosée, ont grandement participé au succès de la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon en 2022 et la constitution de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (NUPES). Cette dernière n’a été possible que parce que nous avons assumé un programme et une stratégie de rupture. Au-delà des divergences d’appréciation tactiques, qui sont, en vérité des plus banales, dans un mouvement tel que celui qui existe aujourd’hui contre la réforme des retraites, ce qui est véritablement en jeu, dans ce débat, c’est où se trouve le centre de gravité de la lutte (dans l’institution ou en dehors) et où se trouve sa direction politique (orientation de rupture ou d’accommodement/alternance).

La Charte dite d’Amiens, adoptée en octobre 1906 par le 9ème congrès de la CGT, assignait au syndicalisme comme double objectif et exigence la défense des revendications immédiates et quotidiennes des travailleurs, et la lutte pour une transformation d’ensemble de la société « par l’expropriation capitaliste », en totale indépendance des partis politiques et de l’État, le syndicalisme se suffisant à lui-même. Aujourd’hui, beaucoup d’organisations syndicales s’en réclament encore, ou du moins de son “esprit”, tout en ayant globalement abandonné son contenu révolutionnaire. Elle est ainsi souvent invoquée pour refuser la “politisation” de la lutte syndicale qui ne devrait porter que sur des revendications professionnelles, alors que le texte voté en 1906 s’inscrivait au contraire dans la logique du syndicalisme révolutionnaire d’affirmation du rôle politique propre du syndicat. Malgré toutes ces limites, liées notamment au contexte particulier de son élaboration, c’est un texte qui garde beaucoup de pertinence. 

Il permet notamment de mettre un peu en perspective une partie des débats que nous avons aujourd’hui qui n’ont absolument rien de nouveau. Forces politiques et syndicales ont toujours débattu, de manière parfois très vive, des stratégies et tactiques de la lutte, de leurs prérogatives respectives, de qui avaient la légitimité pour dire ou faire quoi. La France insoumise a toujours défendu et respecté l’autonomie des syndicats et organisations professionnelles, leur prééminence dans la détermination de la stratégie à mettre en œuvre parmi le salariat, au premier niveau de la confrontation directe entre le capital et le travail. Et si nous avons des avis ou suggestions sur le sujet, nous ne nous sommes jamais permis de les faire connaître autrement qu’au travers de discussions bilatérales ou multilatérales entre nous. Nous n’en attendons ni plus, ni moins, en sens inverse. Nous n’avons jamais dénoncé l’expression de points de vue syndicaux sur des sujets propres au champ politique voire parlementaire. Nous les avons même parfois nous-mêmes sollicités. Et il est crucial que dans une bataille de l’ampleur de celle qui est actuellement en cours, nous échangions et nous nous coordonnions encore plus fortement. Mais le respect de l’autonomie, des prérogatives et de l’intelligence des uns et des autres ne peut être à sens unique. 

Après 15 jours d’une intense bataille parlementaire, où notre camp a marqué des points, tout en évitant que le gouvernement puisse crier victoire, quel est le sens, l’intérêt de participer publiquement au récit contraire qui vise à diminuer et dénigrer les prises que nous avons réussi à faire. Qui cela sert-il ? En quoi cela aide-t-il la mobilisation ? Aucune divergences tactiques ne saurait justifier de concéder le moindre millimètre de terrain à l’adversaire macroniste et à l’ennemi fasciste, en plein milieu de la bataille. Le moment que nous vivons appelle à chacun, chacune d’entre nous et tous·tes collectivement à s’élever au-dessus des calculs d’appareils et des querelles de personnes. Aucun·e d’entre nous ne gagnera au détriment des autres. Nous gagnerons ensemble ou perdrons chacun et chacune de son côté. Maintenant que le centre de gravité s’est re-déplacé dans l’arène première de la lutte des classes, notre tâche est de maximiser nos forces et le rapport en faveur de notre camp, pour gagner. Comme à chaque campagne et à chaque mobilisation, La France insoumise sera, dans les prochains jours et les prochaines semaines, toute entière tournée vers l’accomplissement de cet objectif.

(1) Libération, “Jean-Louis Debré sur les débats à l’Assemblée : « On n’est pas là pour boire le thé »”, 09/02/23

(2) LFI, Bilan des 4 ans de mandat du groupe parlementaire La France insoumise, octobre 2021

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